CHAPITRE VI

Cinq bonnes minutes furent nécessaires à Rohel pour rajuster son attirail respiratoire, vérifier que le tuyau dorsal était correctement connecté à ses bouteilles, passer le scaphandre, fermer les loquets de sécurité, mordre dans l’embout buccal, attendre l’afflux d’oxygène et dénicher une lampelase à l’intérieur d’une caisse. Ce fut un peu plus long pour Damyane Lolzinn, qui dut ramper jusqu’à son équipement, enfiler le bas et se battre avec les tubes souples de son masque. Il attendit qu’elle eût à son tour bloqué les clenches de ses loquets pour ouvrir la tente.

Les frères Luan, Japh F-Dorem et Omjé Yumbalé avaient déjà quitté leur abri et promenaient le rayon étincelant de leur lampe sur les différents recoins de la grotte. Lorsqu’elle les vit, Omjé s’approcha de Rohel et de la comtesse, et leur fit comprendre qu’ils devaient explorer la grotte pour tenter de savoir qui avait poussé ce hurlement. En même temps qu’elle s’exprimait par gestes, elle parlait à l’intérieur de son scaphandre, mais ils ne percevaient que des bribes incompréhensibles, des murmures qui semblaient traverser un mur d’eau. Le Vioter déclencha l’allumage de sa lampe et se dirigea vers la partie du quai qui n’avait pas encore été visitée. Damyane lui emboîta le pas mais, comme elle n’avait pas eu le réflexe de se munir d’une lampe, elle se contenta de rester derrière lui. Devant les entrées des galeries transversales, ils découvrirent d’autres cadavres dont certains avaient été réduits par les vers à l’état de squelette. La plupart des scaphandres s’ornaient de longues déchirures, étonnantes dans la mesure où la vermine n’avait pas pour habitude de ronger un matériau composé pour une bonne part de métal. Ils paraissaient avoir été tailladés avant la mort de ces hommes, comme si quelqu’un avait délibérément pratiqué ces accrocs pour briser l’isolement thermique.

Le Vioter et Damyane s’enfoncèrent prudemment dans une large bouche dont la voussure de pierres noires et taillées s’était partiellement affaissée. L’obscurité absorbait ici la lumière diffuse, surgie de nulle part, qui éclairait le quai. Le rayon de la lampe révélait les parois et la voûte d’une grotte secondaire d’où partaient les galeries minières proprement dites, des passages étranglés où il n’était pas possible à deux hommes d’évoluer côte à côte. D’autres cadavres gisaient sur le sol, enveloppés d’un linceul de poussière grisâtre. Certains avaient été extirpés de leurs scaphandres comme des mollusques hors de leur coquille. Leurs membres éparpillés et leurs os brisés montraient qu’ils avaient subi de terribles sévices corporels avant ou après leur agonie.

La main de la comtesse vint machinalement se poser sur l’avant-bras de Rohel. Son regard agrandi exprimait à la fois l’horreur, le dégoût et l’effroi. Ils prenaient conscience, devant ce tableau atroce, que les Stegmonites ne les avaient pas seulement expédiés dans un endroit où la chaleur, le manque d’oxygène et les tempêtes de lave rendaient les conditions de vie presque impossibles, mais dans un cul-de-basse-fosse où une forme d’existence, humaine ou non, s’attaquait aux imprudents qui violaient son territoire. Le hurlement qui avait lacéré le silence quelques minutes plus tôt avait retenti comme un avertissement.

Rohel tira par le bras la comtesse pétrifiée. Ils rejoignirent les autres devant la tente d’Omjé Yumbalé et de Japh F-Dorem. La Nigarounienne s’accroupit, dégrafa les attaches extérieures de l’ouverture et les invita à entrer dans l’abri.

Ils poussèrent les caisses et le sanipulvérisateur pour s’entasser dans l’étroit espace, vérifièrent l’étanchéité des fermetures et se débarrassèrent tant bien que mal du haut de leur scaphandre. Le Vioter s’arrangea, comme il l’avait fait devant la comtesse, pour glisser Lucifal le long de sa cuisse. Damyane lui lança un regard à la fois ironique et complice. Des gouttes de sang perlaient de sa blessure à l’arcade sourcilière, qu’elle n’avait pas eu le temps de soigner. Ses plaies lui donnaient un aspect plus humain, plus vulnérable que dans la base de Ksaron. Les odeurs, exaltées par la transpiration, se conjuguaient pour composer un âcre bouquet. La lumière violente de la lampe autosuspendue sculptait les reliefs des visages, les muscles des épaules et des bras. Les yeux exorbités de Japh F-Dorem se posaient alternativement sur les seins sombres, arrogants, d’Omjé et sur la poitrine moins volumineuse, plus tendre, de Damyane Lolzinn. La mobilité et l’expressivité de son regard offraient un contraste saisissant avec l’impassibilité des frères Luan. Rohel n’avait encore jamais entendu le son de leur voix mais il n’avait pas besoin de leur parler pour se rendre compte que c’étaient des hommes rompus au combat, durs au mal, doués d’une résistance exceptionnelle. Leur torse et leur cou semblaient avoir été taillés dans le roc et, bien que massifs, ne s’enrobaient d’aucune couche de graisse superflue.

Omjé avala une lampée d’eau fraîche au goulot d’une gourde.

— Le colonel Tazir nous a caché certains aspects de cette mission, maugréa-t-elle en proposant la gourde à Luan Mô, assis en tailleur à sa droite. Il semble bien qu’il y ait d’autres dangers que les tempêtes de magma dans ce trou du cul de l’enfer ! Ce hurlement de démon m’a glacé le sang et ce ne sont pas les vers de lave qui ont arraché leur scaphandre à certains de ces cadavres.

— Aucun des hommes qu’il a expédiés ici n’est remonté pour faire son rapport au colonel, intervint Le Vioter. Il ignore sans doute qu’un monstre hante ces mines abandonnées et met en pièces les inconscients qui viennent perturber sa tranquillité. Il est peut-être sincèrement persuadé que les Stegmonites n’ont pas la capacité de résister aux conditions atmosphériques des grands fonds.

La chaleur combinée de leurs corps transformait l’abri en étuve. L’espace de quelques secondes, Le Vioter se retrouva une quinzaine d’années plus tôt, à l’intérieur d’une construction rudimentaire de branchages recouverte de peaux animales. Tout en psalmodiant un chant sacré, Phao Tan-Tré versait de l’eau sur des pierres rougies par le feu et entassées dans un creux pratiqué au centre de la hutte, obtenant une vapeur brûlante qui embrasait l’air et donnait l’impression à Rohel d’inhaler d’invisibles flammes. « Les éléments, le feu, l’air, l’eau et la terre sur laquelle tu es assis, se sont réunis dans ce lieu pour te purifier, murmurait le vieil homme. Accepte-les comme des alliés, comme des amis, imprègne-toi de leur essence et ils t’apporteront leurs bienfaits : considère-les comme des adversaires, sépare-toi d’eux et ils t’inviteront à goûter leur puissance destructrice… » Rohel crut humer l’odeur caractéristique de la sauge malinaise, une plante médicinale que son instructeur parait de toutes les vertus.

— Nous n’avions pas tous les éléments en main pour arrêter notre décision, reprit Omjé. Nous sommes en droit de remonter et de remettre notre démission au colonel Tazir ! Je ne tiens pas à être dévorée par un… un cannibale des profondeurs.

— Personnellement, je préfère tenter ma chance en bas plutôt que d’être exécutée par un peloton stegmonite ! affirma Damyane. Après tout, rien ne prouve l’existence d’une quelconque créature dans ces galeries. Elles ont été condamnées pendant plus de dix siècles, je vous le rappelle, et elle aurait largement eu le temps de mourir de faim si elle avait dû compter sur les mineurs pour assouvir ses fringales. Il se peut que ces hommes aient perdu la tête et se soient tout simplement étripés entre eux, perturbés par le mal des profondeurs ou quelque chose de similaire.

— Tu as entendu ce cri, comtesse ! grommela Japh F-Dorem. Tu te figures que c’est le chant d’amour d’un ver de lave ?

Elle décocha un regard meurtrier au N-Djamien. La vitesse à laquelle son visage angélique se métamorphosait en masque haineux sidérait Le Vioter.

— Vous êtes vous-même plus proche du ver que de l’homme, cher F-Dorem, siffla-t-elle. Seul un cadavre supporterait votre contact visqueux !

— Petite…

Luan Mô tendit la gourde à son frère et, d’un geste péremptoire du bras, força le N-Djamien, fléchi sur ses jambes, à se rasseoir.

— Stupide est l’homme qui s’en prend à son semblable et délaisse l’ennemi véritable, déclara-t-il d’un ton posé.

— Parce que découper une fillette en petits morceaux, ce n’est pas s’en prendre à son semblable ! ricana F-Dorem.

Luan Ji ne réagit pas mais les lueurs vives qui embrasèrent ses minces fentes oculaires indiquaient qu’il sauterait sur la première occasion de lui faire ravaler son ironie.

— Le jugement des hommes n’a aucune valeur aux yeux des dieux, poursuivit Luan Mô, imperturbable. Nous partageons l’avis de la comtesse Lolzinn : nous n’avons pas l’intention de rester toute notre vie sur Stegmon et nous souhaitons aller au terme de cette mission. Aucun dragon céleste ou terrestre ne nous contraindra à renoncer. Et d’ailleurs, nous avons de quoi l’accueillir comme il le mérite.

Il extirpa de la ceinture de son scaphandre une arme à canon court que Rohel identifia comme un vibreur mortel.

— Comment avez-vous fait pour soustraire ce joujou à la vigilance des Stegmonites ? s’étonna Omjé. Ils nous ont fouillés plus de cent fois dans la base de Ksaron.

— Ils ignorent certaines facultés des ressortissants de la Nouvelle Mongolie, répondit Luan Mô avec un sourire.

— Assez perdu de temps ! coupa Luan Ji. Mettons-nous immédiatement au travail.

— Trois d’entre nous ne se sont pas encore exprimés, objecta Damyane Lolzinn. Notre décision doit être unanime : la moitié de l’effectif ne suffirait pas à extraire les deux cents tonnes d’urbalt en dix jours.

— Je reste : je ne tiens pas à tirer trente ans dans un bagne de Tarphagène ! grommela Japh F-Dorem. Et puis ces dames s’ennuieraient si je cessais de leur tenir compagnie !

D’un geste délicat, Omjé essuya les rigoles qui se faufilaient dans le sillon de ses seins.

— Je reste aussi, soupira-t-elle d’un ton las. J’en ai ma claque de Stegmon, j’ai besoin de ce fric pour m’établir sur Nigaroun. Tu as tout intérêt à me protéger, Japh : je te promets, devant témoins, de t’ouvrir mes portes secrètes si tu m’aides à me sortir vivante de ce coupe-gorge.

— En ce cas, tu ne peux pas me refuser un premier acompte !

Avec la rapacité d’un oiseau de proie, la main de F-Dorem vint se poser sur l’aréole large et sombre de son sein gauche.

Elle lui permit de la caresser pendant quelques secondes avant de le repousser calmement, comme si elle s’exerçait déjà à se frotter à la peau de cet homme qui lui faisait horreur.

— Il ne reste que vous, sieur Ab-Phar, dit la comtesse en se tournant vers Le Vioter. Vous connaissez les motifs qui nous ont valu cette promenade dans le ventre de Stegmon, mais nous ignorons tout des promesses que vous a faites le colonel K-L Tazir.

— Il m’a offert un transfert hypsaut jusqu’à la Seizième Voie Galactica, répondit-il.

— La Seizième ? s’écria Omjé Yumbalé. Elle est donc habitée ?

— Depuis plus de cent siècles. Des historiens l’appellent Voie lactée et affirment qu’elle est le point de départ de la conquête stellaire.

— Conneries ! lança Japh F-Dorem. Les humains sont partis de la Première Voie Galactica. Simple question de logique : la chronologie s’écrit du zéro à l’infini, et non l’inverse !

— L’humanité et la logique ne font pas toujours bon ménage, fit observer Damyane Lolzinn. Mais nous ne sommes pas là pour réécrire l’histoire. Quelle est votre réponse, sieur Ab-Phar ?

D’un revers de main, elle écrasa les gouttes de sang qui perlaient de sa blessure.

— Nous réussirons si nous formons un groupe solidaire, déclara Le Vioter. Nous devons nous rassembler à heures fixes, manger et dormir en même temps. Nous avons également intérêt à rester le plus possible groupés…

— Les galeries sont trop étroites pour que nous puissions tenir à six, allégua Omjé Yumbalé. Et nous perdrions beaucoup de temps à travailler la même veine.

— Nous choisirons des galeries situées dans le même secteur, proches les unes des autres. Les assistants ne rempliront qu’un seul wagon à la fois, ce qui les obligera à se croiser fréquemment. Lorsque les conteneurs du wagon auront été remplis, ils iront tous les trois ensemble en détacher un autre, sous la protection du vibreur de Luan Mô.

— Le colonel Tazir t’a donné l’autorisation de nous commander ? grommela le N-Djamien.

— Taisez-vous, sieur F-Dorem ! cracha Damyane Lolzinn. Vous gaspillez l’oxygène. Vos suggestions, Ab-Phar, me semblent judicieuses. Signifient-elles que vous acceptez de rester avec nous ?

Le Vioter acquiesça d’un hochement de tête. Un large sourire éclaira le visage de la jeune femme, dévoilant des dents teintées de nacre rose.

— Chaque tandem se munira d’une batterie de rechange, d’un minuteur et d’un compteur d’urbalt, dit Omjé. Nous pourrons ainsi fixer les heures de rendez-vous et choisir les galeries les plus riches en minerai. Départ dans trente minutes. Le temps de vous restaurer, de vous abreuver, de vidanger vos vessies ou vos tripes. N’oubliez pas que vous resterez plusieurs heures sans avoir la possibilité de faire l’un ou l’autre. Si vous ne prenez pas vos précautions, vous n’aurez pas d’autre ressource que de vous vider dans votre scaphandre et de vivre en bonne compagnie avec vos odeurs ! Nous rangerons d’abord le train sur une voie parallèle, nous détacherons le dernier wagon, nous l’amènerons sur la voie centrale, nous chargerons le matériel, extratrieuses, batteries, tuyaux d’aspiration, puis nous traînerons le tout près de l’entrée d’un vestibule…

— Un vestibule ? s’enquit Damyane Lolzinn.

— Une cavité intermédiaire d’où partent les galeries. Pour gagner du temps, nous travaillerons les filons de manière superficielle.

Elle précisa, devant les mines interrogatives de ses vis-à-vis :

— Nous ne sommes pas tenus par des impératifs de rentabilité : les compagnies exigent que nous allions jusqu’au bout des veines pour ne rien perdre du minerai, mais nous augmenterions les distances et nous fatiguerions inutilement les assistants si les extratrieurs s’enfonçaient toujours dans le même boyau. Il vaut mieux revenir sur ses pas au bout de deux ou trois cents mètres et choisir une nouvelle galerie.

— Comment saurons-nous si une galerie n’a pas été déjà exploitée ? demanda Le Vioter.

Omjé se pencha pour ouvrir une caisse et en extraire un piquet autoperforant muni d’un verre cataphote.

— Il y a en a des centaines dans les caisses. Il suffira de les laisser plantés au milieu de l’entrée.

— La radioactivité des isotopes d’urbalt n’est pas nocive pour l’organisme humain ?

— Pas que je sache…

— En ce cas, pourquoi les Stegmonites ont-ils fermé ces mines ? insista Le Vioter.

— Je suppose qu’il y a une différence entre une exposition permanente à la radioactivité du minerai et une extraction temporaire. Autrefois, les mineurs des grands fonds s’engageaient pour une durée minimum de trente ans au service des compagnies. Ils avaient donc tout le temps d’être irradiés et le taux de mortalité, très élevé, a poussé le gouvernement stegmonite à fermer ces exploitations. Je vous livre la version officielle mais je ne suis pas sûre qu’elle reflète entièrement la vérité… D’autres questions ?

Elle scruta tour à tour les visages de ses cinq compagnons, mais aucun d’eux ne desserra les lèvres.

— Vous en aurez probablement de nouvelles à me poser après le premier quart, ajouta-t-elle. Rendez-vous dans trente minutes devant la motrice.

Ils commencèrent à rajuster leur masque respiratoire.

— Pourquoi est-ce que tu te rhabilles, Omjé ? maugréa Japh F-Dorem. On est dans notre petit nid douillet et on a encore une demi-heure avant de sortir… Tu as juste le temps de me donner un acompte un peu plus consistant.

— Crétin ! lâcha la Nigarounienne. Si tu ne te couvres pas, la chaleur de la grotte grillera ta petite saucisse au moment où nos invités quitteront l’abri !

*

Le vilebrequin s’enfonçait en tournoyant dans la paroi et détachait des plaques entières qui retombaient dans le large tamis où elles étaient pulvérisées et aspirées par la bouche vorace du tuyau.

Le Vioter s’habituait peu à peu au maniement de l’extratrieuse. Il avait rapidement compris qu’il valait mieux commencer par creuser le bas de la galerie, puis attaquer le niveau intermédiaire et enfin dégager la partie haute jusqu’à ce qu’il puisse se tenir en position debout. C’était l’opération la plus délicate, car il lui fallait maintenir le lourd instrument à bout de bras et endurer les vibrations douloureuses du vilebrequin. En outre, les éclats de terre et de minerai tombaient en pluie tout autour de lui, ce qui l’obligeait à ramasser les plus gros fragments à la main, à les placer dans le tamis, à passer ensuite l’extrémité du tuyau sur le sol pour aspirer les débris. De temps à autre, il rapprochait la lampe autosuspendue et jetait un bref coup d’œil au compteur radioactif dont il avait passé la lanière autour de son cou. L’aiguille commençait à piquer vers la gauche du cadran rétro-éclairé, signe que le filon commençait à s’épuiser.

Il n’avait pas glissé Lucifal à l’intérieur du scaphandre mais, puisque Luan Mô avait mentionné la présence d’un vibreur aux autres membres de l’expédition, il n’avait pas jugé nécessaire de dissimuler plus longtemps l’existence de son épée et, avec des chutes de tissu ignifugé, il avait confectionné une ceinture de fortune dans laquelle il avait passé le fourreau et qu’il avait nouée autour de sa taille.

La main de Damyane lui agrippa l’épaule. Il pressa la manette d’arrêt et reposa l’extratrieuse à ses pieds. Les vibrations, virulentes, douloureuses, continuèrent de l’élancer du sommet du crâne jusqu’aux extrémités des orteils. Les paroles d’Omjé Yumbalé lui revinrent en mémoire : « Les premiers jours, tes muscles, tes nerfs, ton cerveau vibreront avec une telle force que tu auras l’impression de te disloquer à chacun de tes pas… » Il resta immobile, envahi par l’angoissante sensation que ses os, aussi fragiles que du cristal, se briseraient au moindre de ses mouvements.

Damyane pointa l’index sur la jauge, emplie de lumière rouge. Il hocha la tête pour lui signifier son accord. Elle s’accroupit et appuya sur un bouton placé sur un côté du conteneur. L’extrémité du tuyau d’aspiration de l’extratrieuse s’éjecta de son étui et vomit, en frappant le sol, une ultime coulée de terre pulvérisée. Elle se releva, se positionna devant le récipient, saisit les deux poignées latérales. Le Vioter s’approcha d’elle pour l’aider à charger son fardeau, mais, d’un mouvement de tête, elle lui intima l’ordre de reculer. Arc-boutée sur ses jambes, elle souleva le conteneur, le glissa sur son épaule et, lestée d’un poids de cent kilos, se releva en douceur, sans à-coups, exactement comme l’eût fait un déménageur professionnel ou un concurrent des épreuves de force des mondes Tjio.

De sa main libre, elle extirpa sa lampe d’un repli de son scaphandre, l’alluma, lança, par-dessus son épaule, un regard où se lisaient à la fois de l’ironie et de l’arrogance, puis s’enfonça d’un pas résolu dans la galerie noyée de ténèbres.

Le Vioter s’assit sur le capot de l’extratrieuse. Il ne servait à rien de poursuivre l’extraction pendant que l’assistant allait chercher un nouveau récipient. Le tuyau aspirait les débris avec une telle voracité qu’il aurait expédié le minerai pulvérisé sur plusieurs dizaines de mètres et qu’ils auraient perdu beaucoup de temps à le récupérer. Mieux valait profiter de cette pause pour reprendre des forces.

Il calcula que chaque tandem devrait sortir entre soixante et soixante-dix conteneurs par jour – l’équivalent de douze heures de travail divisées en trois périodes de quatre heures, la notion de jour restant abstraite à cette profondeur – pour rassembler les deux cents tonnes de gangue dans le délai qui leur était imparti. Il consulta son chronomètre, vit qu’il avait mis neuf minutes pour remplir son premier conteneur. Un temps qu’il estima trop long, car, si on l’ajoutait aux quatre ou cinq minutes dont avait besoin la comtesse pour se rendre jusqu’au wagon, placer le récipient dans sa cavité, en choisir un vide et revenir sur ses pas, ils n’auraient pas assez des dix jours pour assurer leur part de production. Il supposa qu’il améliorerait ses performances au fil des heures, qu’il supprimerait progressivement les mouvements parasites, qu’il gagnerait en efficacité malgré la fatigue qui ne manquerait pas de lui alourdir ses membres.

Il observa la terre sillonnée de veinules sombres et dont la teinte rougeâtre était probablement due à la chaleur intense qui régnait dans les grands fonds. Extrêmement sèche, friable, elle donnait l’impression de vouloir s’embraser au moindre souffle. Même s’il ne s’était pas encore habitué au poids de son scaphandre, même si les embouts des tubes d’oxygène continuaient de lui irriter les narines, il se devait de reconnaître que l’équipement stegmonite se révélait d’une grande fiabilité dans les conditions extrêmes des grands fonds. Il transpirait certes à grosses gouttes mais sa propre agitation était davantage responsable de cette diaphorèse que la chaleur ambiante. Comme il n’avait pas la possibilité de se désaltérer dans les galeries, il lui fallait veiller à économiser ses mouvements pour ne pas se déshydrater trop rapidement.

L’attente se prolongea, irritante. Il se demanda ce qui avait bien pu retarder la comtesse. Pestant contre sa partenaire, il songea d’abord à la baisse de productivité de leur tandem, puis la vision des scaphandres déchiquetés et des cadavres décomposés lui effleura l’esprit et un sombre pressentiment l’envahit. Il se releva et, agrippant la poignée de la lampe, il se dirigea d’une allure soutenue vers la sortie de la galerie.

Alors qu’il avait parcouru une centaine de mètres, un hurlement prolongé lacéra le silence. Un cri identique, en plus perçant peut-être, plus lugubre aussi, à celui qui avait retenti une heure plus tôt. Il était probablement d’une puissance inouïe pour transpercer ainsi les obstacles de terre et le matériau des scaphandres. Sa vibration menaçante se doublait d’une tristesse déchirante qui semblait meurtrir l’air et la matière.

Le Vioter abandonna la lampe pour ne pas donner l’alerte à un éventuel adversaire, tira Lucifal de son fourreau et pressa le pas. Il s’enfonça dans des ténèbres opaques, se heurta à plusieurs reprises aux parois resserrées du boyau, trébucha sur les arêtes saillantes des pierres. Il distingua dans le lointain des éclats furtifs de lumière qui venaient en sa direction et l’incitèrent à s’immobiliser. Il ne sentait pas la chaleur de l’épée mais la lame brillait d’un éclat insolite, inhabituel, qui écartait les ténèbres sur un rayon de deux mètres. « Lucifal brillera de nouveau lorsque tu affronteras d’autres forces obscures », avait déclaré Lays, la Djoll du Pays Noir. Un être se promenait dans ces mines qui était le serviteur du néant. Était-ce le même qui avait massacré les mineurs stegmonites et poussé ces hurlements terrifiants ?

Le Vioter remit l’épée dans le fourreau et se tapit dans l’obscurité reconstituée. Il garda la main sur la poignée, prêt à dégainer à la moindre alerte. La galerie tournait à cet endroit, de sorte qu’il suivait la progression des lueurs sur la paroi incurvée. La vue était le seul sens auquel il pouvait se fier dans ces circonstances, car l’épaisseur et l’herméticité du scaphandre occultaient l’ouïe et l’odorat. Phao Tan-Tré lui avait souvent conseillé de ne pas s’en remettre à ses seuls yeux, ces témoins fallacieux, faciles à tromper, ces fenêtres de l’âme qui s’ouvraient sur des mondes partiels, tronqués. « Développe ton odorat comme les animaux : jamais ils ne se trompent de cible. Développe ton ouïe comme les musiciens : l’univers est fait de sons. L’œil, tyrannique, essaie de tout ramener à lui, d’occulter les autres sens, et pour cela il te suggère qu’il est le seul à pouvoir apprécier la beauté… »

Les lueurs vacillèrent, jouèrent pendant quelques secondes avec les reliefs de la paroi. Le Vioter prit conscience que l’autre avait lui-même ressenti sa présence et décida d’appliquer un principe de base des combattants d’Antiter : prendre l’initiative, rompre la trêve tacite, fondre sur l’adversaire pendant qu’il s’interroge sur la stratégie à suivre. Il dégaina Lucifal, dont la lumière vint se jeter dans les éclats mouvant de la lampe, puis franchit en cinq foulées rageuses l’espace qui le séparait de l’incurvation.

Il ne ralentit pas lorsqu’il déboucha de l’autre côté du tournant, il fonça sur la silhouette grise qui se tenait au milieu de la galerie et qui, en un réflexe, avait levé le bras droit. Les rayons de Lucifal et de la lampe miroitèrent sur le cataphote d’un objet métallique et pointu.

Un piquet autoperforant.

D’un geste vif et précis, Rohel pointa la lame sur la poitrine de son vis-à-vis. Ce dernier lâcha immédiatement le piquet qui s’enfonça dans le sol en tournoyant, puis, de l’autre main, tourna sa lampe vers son hublot. Le Vioter reconnut alors les yeux de Damyane Lolzinn au travers de la vitre noircie. Soulagé, il baissa sa garde et écarta les bras en un geste d’excuse. La comtesse dirigea le faisceau vers le conteneur vide qu’elle avait abandonné quelques mètres plus loin.

 

Ils remplirent une vingtaine de conteneurs pendant les quatre premières heures, ce qui, compte tenu du retard initial pris par la comtesse et de leur inexpérience, représentait une performance honorable. Ils regagnèrent le vestibule où les attendaient déjà les deux autres tandems. Là, ils déposèrent les extratrieuses dans le wagon, retournèrent tous ensemble au camp de base et se renfermèrent dans leurs abris respectifs.

— Pourquoi avez-vous mis autant de temps pour ramener le deuxième conteneur ? demanda Le Vioter après qu’ils eurent retiré le supérus de leur scaphandre.

— Plus tard ! Je meurs de soif.

Elle s’empara d’une gourde et absorba d’une traite presque deux litres d’eau. Il y eut un long moment de silence pendant lequel les six membres de l’expédition s’affairèrent à boire, à manger, à s’asperger, à évacuer. Ils avaient convenu d’établir des pauses d’une heure entre les trois périodes productives de quatre heures, puis de prendre une dizaine d’heures d’affilée pour dormir, un temps nécessaire, selon Omjé, pour permettre aux hommes et au matériel de souffler.

La nourriture se composait essentiellement de galettes de céréales et de viande qui se réchauffaient automatiquement lorsqu’on ouvrait le couvercle de leur emballage. Diverses herbes les assaisonnaient qui leur donnaient à chacune un goût différent.

La comtesse mangeait en silence, la tête baissée, le visage en partie occulté par le rideau ajouré et doré de ses cheveux. Elle ne se préoccupait pas de la plaie de son arcade, qui s’était pourtant remise à saigner. Les meurtrissures de ses épaules, la pâleur de son visage et le tremblement de ses mains trahissaient un épuisement qu’elle s’efforçait en vain de masquer.

— Aussi bête que cela puisse vous paraître, je suis tombée, dit-elle soudain en redressant la tête.

Elle se mordait les lèvres pour ne pas libérer ses larmes.

— La petite poule d’Helban serait mieux dans sa volière ! ricana F-Dorem depuis l’abri voisin.

— La ferme, Japh ! gronda Omjé Yumbalé. Tu n’en menais pas large lorsque l’autre dingue s’est mis à hurler !

— Qu’il hurle si ça lui chante ! Tant qu’il ne vient pas nous grignoter les fesses… Eh, les frères Luan, combien de conteneurs ?

— Vingt-quatre, répondit Luan Mô.

— Pas mal : nous en avons fait vingt-neuf ! Et toi, comtesse ?

Ce fut Le Vioter qui répondit :

— Vingt.

— Faudra vous bouger le cul lors du prochain quart !

— Pour l’amour des dieux, boucle-la, Japh ! cracha Omjé.

Ils observèrent une nouvelle période de silence, pendant laquelle Damyane se défit du bas de son scaphandre, repoussa les caisses et s’allongea sur le tapis de sol. Des corolles bleues parsemaient ses cuisses, ses hanches et son bas-ventre, ombré d’un duvet couleur d’ambre. Elle fixa Rohel d’un air las.

— Tu ne m’avais pas parlé des étranges propriétés de ton épée, chuchota-t-elle.

— Elle s’illumine lorsqu’elle détecte certains types d’adversaires.

— J’en fais probablement partie puisqu’elle a brillé devant moi !

Il haussa les épaules et se débarrassa à son tour de l’inférus de son scaphandre. Il ressentit un ineffable soulagement lorsque les langues d’air tiède lui léchèrent le bas-ventre et les jambes. Il but une nouvelle gorgée d’eau et s’étendit aux côtés de Damyane.

Un nouveau hurlement retentit. Il n’émanait pas de la créature mystérieuse qui hantait les mines, mais d’Omjé, occupée à repousser les assauts de son partenaire.

— Tu ne me baiseras que lorsque nous serons remontés, Japh F-Dorem ! Si tu recommences, je te châtre avec les dents !

Damyane se redressa sur un coude et laissa errer un regard lourd de désir et de regrets sur le corps de Rohel.

— La vie n’est pas toujours bien faite, souffla-t-elle d’une voix imprégnée d’amertume.

Cycle de Saphyr
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